L'Arthopédie à la casse !

Guy LAFARGUE
Entretien conduit par Honoré GRISSË
Journaliste de pensée
Extrait

"Honoré GRISSË : Il semble que vous êtes très remonté contre cette adoption de l’art dans les pratiques du soin psychiatrique !

Guy LAFARGUE : Oui ! Parce qu’elle constitue une entreprise de détournement de l’immense potentiel métamorphique de la vie affective et de ses raisonnances émotionnelles sur les voies de garage de l’art.

Un certain nombre de ces pratiques arthopédiques sont fondées sur la prescription artistique, ce qui est une absurdité. Elles reposent sur la gestion instrumentale de l’injonction et de la communication artistiques, sur les effets attendus/induits de socialisation des "patients", de réparation narcissique des désignés malades abusivement qualifiés de “mentaux ”, fantasmés artistes par l’institution. Elles donnent lieu à exploitation publique d'aveux intimes, de productions devenues pour l'occasion œuvres d'art ou matériaux de diagnostic en séance de synthèse dans les équipes de soin, ou matériaux d’évaluation et d’analyse statistique. Elles sont dispensées en contrepoint des méthodes pavloviennes du redressement affectif et de la chimiothérapie souveraine. Cette orientation repose sur une conception orthopédique du Beau ("Le Beau, le Bon, le Bien), sur les concepts fumeux de comportement créatif et de créativité ; sur la lénifiante théorie de la sublimation et sur la récupération spectaculaire et artistique de l'intimité expressive : apprentissage/assimilation de techniques artistiques, affichage domestique, exposition de groupes de patients (mesurer au passage la dérision de ce terme : "patient"), participation à des manifestations culturelles "spécialisées" dans le handicap psychique (il y a maintenant des handicapés psychiques !), vente des œuvres lors de manifestations de charité…tous aménagements qui dépouillent totalement l'acte artistique de ses dimensions de subversion et d'authenticité. "…

"Guy LAFARGUE : Ce que les personnes apprennent dans mon enseignement de la conduite de groupes en Ateliers d'Expression Créatrice Analytique, et dans le process de la formation à la pratique des Ateliers d'Art CRU, c’est à créer de façon significative un cadre et des dispositifs qui suscitent immédiatement un haut niveau de mobilisation du désir de jouer avec les langages de création ; qui engagent naturellement les participants de l'Atelier dans l’expérience créatrice ; à accompagner de façon confiante les intenses mouvements affectifs et les raisonnances émotionnelles dont l’expérience créatrice est le théâtre luxuriant ; d’accompagner les personnes dans la durée d’un processus qui demande quelques fois beaucoup de temps, sans les aliéner dans une dépendance prothétique".