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Donald Woods Winnicott

(1897–1971)

La crainte de l ’effondrement

Introduction

Cet article, écrit il y a plus de cinquante ans, constitue un des textes majeurs de WINNICOTT pour comprendre un des processus fondamentaux de l'expérience affective que nous rencontrons de façon vigoureuse dans la pratique des Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques, et que nous sommes invités à élaborer de façon intelligente. Cette force affective agit de manière puissante dans le cours de l'expérience créatrice ; et son élaboration s'avère être un puissant levier de transformation de la relation que le sujet entretien avec ses angoisses de mort.

J'ai trouvé par le plus grand des hasards ce texte original de Winnicott sur internet. J'ai eu la présence d'esprit de le scanner pour le partager avec mes étudiants. Je n'arrive plus à retrouver sa trace. Je le restitue donc dans son intégralité.

1° Août 2015

Guy Lafargue

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Texte original

 La crainte de l’effondrement
Figures du Vide
Nouvelle Revue de Psychanalyse - Gallimard - 1975
Titre original : « Fear of Breakdown »,

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 « Mes expériences cliniques m’ont amené récemment à une compréhension nouvelle, je crois, de ce que signifie la crainte de l’effondrement. Je me propose ici d’exposer, aussi simplement que possible, cette compréhension nouvelle pour moi et peut être nouvelle aussi pour d’autres personnes qui pratiquent la psychothérapie. »

« Les variations selon les individus »

 « La crainte de craquer, de s’effondrer est un trait remarquable chez certains de nos patients, mais pas chez d’autres. De cette observation, si toutefois elle est correcte, on peut conclure que la crainte de l’effondrement est liée à l’expérience antérieure de l’individu et à l’inconstance de son environnement. Mais, en même temps, il faut s’attendre à découvrir dans cette crainte un dénominateur commun qui dénoterait l’existence de phénomènes universels – phénomènes qui mettent donc chacun à même de savoir par empathie ce qui est ressenti lorsque l’un de nos patients manifeste très vivement une telle crainte. »

« L’émergence du symptôme »

« Ceux de nos patients qui souffrent de cette crainte ne s’en plaignent pas tous au début d’un traitement. Certains oui, mais chez d’autres, les défenses sont si bien organisées que la crainte de s’effondrer apparaît au premier plan comme facteur dominant seulement lorsque le traitement a fait des progrès importants. »

« Il se peut, par exemple, qu’un patient ait diverses phobies et une organisation complexe pour y faire face, de sorte que la dépendance n’entre pas rapidement dans le transfert. A la longue, la dépendance deviendra un trait capital et c’est alors que les erreurs et les failles de l’analyse deviendront des causes directes de phobies localisées, et ainsi de l’éruption de la crainte de l’effondrement. »

« Ce que signifie “ s’effondrer ” »

 « C’est avec intention que j’ai utilisé le terme "breakdown" parce qu’il est plutôt vague et qu’il peut avoir des significations diverses. Tout bien considéré, on peut, dans un contexte, prendre ce mot comme signifiant la défaillance d’une organisation défensive. Mais une question se pose immédiatement : une défense contre quoi ? Et cela nous conduit à la signification plus profonde du terme, puisqu’il nous faut utiliser ce mot de breakdown pour décrire l’état de choses impensable qui sous-tend l’organisation défensive. »

« On remarquera à ce propos qu’il est légitime de penser que, dans le champ de la psychonévrose, c’est l’angoisse de castration qui se trouve derrière les défenses. En revanche, dans les phénomènes plus psychotiques que nous sommes entrain d’examiner, c’est d’un effondrement de l’édification du self unitaire qu’il est question. Le Moi organise des défenses contre l’effondrement de sa propre organisation, c’est l’organisation du Moi qui est menacée. Mais le Moi ne peut s’organiser contre la faillite de l’environnement dans la mesure où la dépendance est un fait de l’existence. »

« En d’autres termes, nous sommes en train d’examiner un renversement du processus de maturation de l’individu. Il s’ensuit qu’il est nécessaire que je formule à nouveau les premiers stades du développement affectif. »

« Le développement affectif : les premiers stades »

« L’individu hérite d’un processus de maturation, processus qui le fait avancer dans la mesure où un environnement facilitant existe et seulement dans la mesure où il existe. L’environnement facilitant et lui-même un phénomène complexe et nécessite à lui seul une étude spéciale ; il a pour caractère essentiel un développement qui lui est propre, étant adapté aux besoins changeants de l’individu en cours de développement. »

« L’individu passe de la dépendance absolue à l’indépendance relative et va vers l’indépendance. Dans la santé, le développement a lieu à une allure qui ne dépasse pas celle du développement de la complexité dans les mécanismes mentaux, ce développement étant lui-même lié au développement neurophysiologique. »

« L’environnement facilitant peut être décrit comme assurant le maintien (holding), le maniement (handling) auquel s’ajoute la présentation d’objet (object-presenting). »

« Dans un tel environnement, l’individu passe par un développement qu’on peut classer en catégories : l’intégration, à laquelle s’ajoute la résidence (ou collusion psychosomatique)et ensuite la relation d’objet. C’est là une simplification très grossière et exagérée mais qui peut suffire dans ce contexte.

« La dépendance absolue »

« À l’époque de la dépendance absolue, quand la mère assure une fonction de "moi auxiliaire", il ne faut pas oublier que le nourrisson n’a pas encore fait la distinction entre le « non moi» et le « moi » - ce qui ne peut se produire sans l’édification du «moi ».

« Les agonies primitives »

« À partir de ce tableau, il est possible de faire la liste des agonies primitives (l’angoisse ne serait pas ici un mot assez fort).

En voici quelques-unes :

  1. Le retour à un état non intégré (Défense : la désintégration)
  2. Ne pas cesser de tomber (Défense : l’auto-maintien)
  3. La perte de la collusion psychosomatique, la faillite de la résidence dans le corps (Défense : la dépersonnalisation)
  4. La perte du sens du réel (Défense: l’exploitation du narcissisme primaire, etc.)
  5. La perte de la capacité d’établir une relation aux objets(Défense: les états autistiques, l’établissement de relations uniquement avec des phénomènes issus de soi)

Et ainsi de suite.

« La maladie psychotique en tant que défense »

« Mon intention est de montrer maintenant que ce que nous voyons cliniquement est toujours une organisation défensive, même dans l’autisme de la schizophrénie infantile. Les agonies qui le sous-tendent sont impensables. C’est une erreur de considérer l’affection psychotique comme un effondrement. C’est une organisation défensive liée à une agonie primitive ; elle est ordinairement couronnée de succès(sauf si l’environnement facilitant le développement a été non pas déficient mais a suscité un espoir toujours déçu, ce qui est peut-être la pire des choses qui puisse arriver à un petit d’homme).

« Énoncé du thème principal »

« Il m’est possible maintenant d’exposer le point principal de ce que j’affirme, et il se révèle être très simple. Je soutiens que la crainte clinique de l’effondrement est la crainte d’un effondrement qui a déjà été éprouvé. C’est la crainte de cette agonie originelle qui a causé l’organisation défensive que le patient manifeste sous la forme d’un syndrome de maladie. »

« Cette idée peut ou non s’avérer utile immédiatement pour le clinicien. Nous ne pouvons presser nos patients. Néanmoins, nous pouvons freiner leur progrès par ce que nous ne savons authentiquement pas ; tout fragment, si minime soit-il, de notre compréhension peut nous aider à rester proches des besoins d’un patient. D’après mon expérience, il ya des moments où un patient a besoin qu’on lui dise que l’effondrement, dont la crainte mine sa vie, a déjà eu lieu. C’est un fait qu’il porte caché dans l’inconscient. L’inconscient dont il est ici question n’est pas exactement l’inconscient refoulé de la psychonévrose ; ce n’est pas non plus l’inconscient de la formulation freudienne, cette partie de la psyché qui est très proche du fonctionnement neurophysiologique. »

« Dans le contexte particulier dont je parle, l’inconscient signifie que l’intégration du moi n’est pas en mesure d’englober quelque chose. Le moi est trop immature pour rassembler tous les phénomènes dans le champ de la toute-puissance personnelle.»

« Il faut se demander maintenant : pourquoi le patient continue-t-il à être tourmenté par cela, qui appartient au passé ? La réponse doit être mise au passé que si le moi peut d’abord la faire entrer dans sa propre expérience du temps présent et dans la maîtrise toute-puissante actuelle (assumant la fonction de soutien du moi auxiliaire de la mère (l’analyste). En d’autres termes, le patient doit continuer à rechercher le détail passé qui n’a pas encore été éprouvé. Cette quête prend la forme d’une recherche de ce détail dans l’avenir.

« Tant que le thérapeute ne sera pas à même de travailler avec succès en se fondant sur l’hypothèse que ce détail est déjà un fait, le patient continuera à craindre de trouver ce qui est recherché sur un mode compulsif dans l’avenir. »

« Par ailleurs, si le patient est prêt à accepter quelque peu cette vérité d’un type bizarre, alors la voie se trouve ouverte pour que cette agonie soit éprouvée dans le transfert, en réaction aux défaillances et erreurs de l’analyste. Le patient peut faire face à celles-ci lorsque les doses ne sont pas excessives et il peut justifier chaque faille technique de l’analyste par le contre-transfert. »

« Tout cela est très difficile, prend du temps et est pénible, mais au moins ce n’est pas futile. Ce qui est futile, c’est l’autre possibilité et c’est ce qu’il nous faut examiner maintenant. »

« La futilité dans l ’analyse »

« Cet article se propose d’attirer l’attention sur le fait qu’il est possible que cet effondrement ait déjà eu lieu et se soit situé peu après le début de la vie de l’individu. Il faut que le patient « se le rappelle », mais il n’est pas possible de se rappeler quelque chose qui n’est pas encore arrivée, et cette chose du passé ne s’est pas encore produite parce que le patient n’était pas là pour que cela lui arrive. La seule façon de « se le rappeler » dans ce cas, c’est que le patient ait pour la première fois l’expérience de cette chose passée dans le présent, c’est-à-dire dans le transfert. Cette chose passée et future devient alors une question d’ »ici et maintenant », et est ressentie par le patient pour la première fois. C’est l’équivalent de la remémoration et cet aboutissement équivaut à la levée du refoulement qui se produit dans l’analyse du psycho névrosé (dans l’analyse freudienne classique).

« Il n’y a pas grand-chose à modifier pour transférer la thèse générale de crainte de l’effondrement à une crainte spécifique de la mort. C’est là d’ailleurs peut être une crainte plus courante et une crainte qui se trouve absorbée dans les enseignements religieux sur la vie future, comme pour nier le fait de la mort. »

« Lorsque la crainte de la mort est un symptôme majeur, la promesse d’une vie de l’au-delà ne parvient pas à apporter un soulagement ; la raison en est que, chez un tel patient, la quête de la mort est une compulsion. Là encore, c’est la mort, qui a eu lieu mais n’a pas été éprouvée, qu’il cherche ainsi. »

« La plus grande partie de mes concepts m’a été inspirée par mes patients, envers lesquels je reconnais ma dette. C’est à l’un d’eux que je dois l’expression « la mort phénoménale ». Ce qui s’était produit dans le passé était la mort en tant que phénomène mais non en tant que fait du type que nous observons. Nombreux sont les hommes ou les femmes qui passent leur vie à se demander si la solution est le suicide, c’est-à-dire envoyer le corps à la mort qui s’est déjà produite pour la psyché. Le suicide n’est toutefois pas une réponse ;c’est un geste de désespoir. Je comprends maintenant pour la première fois ce que voulait dire ma malade schizophrène (qui s’est tuée) lorsqu’elle disait : « Tout ce que je vous demande de faire est de m’aider pour que je me suicide pour la vraie raison et pas pour la fausse.» Je n’y ai pas réussi et elle s’est tuée en désespoir de cause. Son but (tel que je le vois maintenant) était de parvenir à ce que je lui dise qu’elle était morte dans petite enfance. Sur cette base je pense qu’elle et moi aurions pu la mettre en mesure de retarder la mort du corps jusqu’à ce que la vieillesse réclame ses droits. »

« La mort, vue de cette façon comme étant quelque chose qui est arrivée au patient mais que le patient n’était pas assez mûr pour éprouver, a le sens de l’anéantissement. Voici ce qui en est : un schéma s’est élaboré où la continuité d’être a été interrompue par les réactions infantiles du patient à l’empiètement, c’est-à-dire aux facteurs de l’environnement que celui-ci a, en raisin de défaillances, laissé empiéter sur le développement. (Dans le cas de cette patiente, les troubles ont commencé très tôt car il y a eu une conscience prématurée éveillée avant la naissance à cause d’une panique de la mère, et,en plus de cela, la naissance a été compliquée par un placenta praevia non diagnostiqué.)

Le vide.

« Là encore, ce sont mes patients qui m’ont montré que le concept de vide peut lui aussi être vu sous la même optique.»

« Chez certains patients, il est nécessaire que le vide soit éprouvé ; et ce vide appartient au passé, à l’époque où le degré de maturité n’avait pas encore permis l’expérience du vide. Pour le comprendre, il est nécessaire de penser non pas au trauma, mais plutôt que rien ne s’est passé quand cela aurait pu se passer. Pour un patient, il est plus facile de se rappeler un trauma que de se souvenir que rien ne s’est passé quand cela aurait pu se passer. A l’époque, le patient ne savait pas ce qui aurait pu se passer et il ne pouvait donc pas ressentir quelque chose si ce n’est noter que quelque chose pu être. »« Le vide qui se produit dans un traitement est un état que le patient essaye d’éprouver, un état passé qui ne peut être remémoré sauf s’il est éprouvé pour la première fois maintenant. En pratique, la difficulté réside dans ce que le patient redoute le caractère effrayant du vide et qu’il organisera, pour s’en défendre, un vide contrôlé par exemple, en ne mangeant pas ou en n’apprenant pas ; ou encore il se remplira sans merci par une gloutonnerie compulsive et ressentie comme folle. Lorsque le patient peut aller jusqu’au vide même et supporter cet état, grâce à la dépendance à l’égard du moi auxiliaire de l’analyste, absorber peut alors apparaître soudain comme une fonction qui donne du plaisir ; c’est à ce moment-là que manger peut commencer à être autre chose qu’une fonction dissociée (ou issue par clivage) en tant que partie de la personnalité ; de même manière, quelques-uns de nos patients, jusque-là dans l’impossibilité d’apprendre, peuvent commencer à apprendre avec plaisir. »

« Le vide est à la base d’apprendre aussi bien que de manger. Mais si l’expérience du vide n’a pas été éprouvée comme telle au début, cela devient alors un état qui est redouté et pourtant compulsivement recherché. »

La non-existence.

« La quête d’une non-existence personnelle peut aussiêtre étudiée de la même façon. On découvrira qu’ici la non existence fait partie d’une défense. L’existence personnelle est représentée par les éléments de projection et la personne s’efforce de projeter tout ce qui pourrait être personnel. Cela peut être une défense relativement complexe ; elle vise à éviter la responsabilité (au moment de la position dépressive) ou éviter la persécution (à ce que l’appellerai le stade de l’affirmation de soi, c’est-à-dire le stade du Je suis avec son implication inhérente : Je répudie tout ce qui n’est pas moi).On retrouve une bonne illustration dans le jeu de l’enfant : «Moi, je suis le roi du château et toi, tu es le vilain gredin. »

« Dans les religions, cette idée peut apparaître dans le concept de ne faire qu’un avec Dieu ou avec l’univers. On peut voir cette défense niée dans les écrits et la doctrine existentialistes, où exister donne lieu à un culte, en tentant par là de contre-balancer la tendance personnelle à la non existence qui fait partie d’une défense organisée. »

« Il peut y avoir un élément positif dans tout cela, c’est à-dire un élément qui n’est pas une défense. L’on peut dire que ce n’est que de la non-existence que l’existence peut commencer. Il est surprenant de constater à quelle période précoce une conscience d’un moi prémature peut être mobilisée (même avant la naissance, certainement au cours du processus de la naissance). Mais l’individu ne peut pas se développer à partir d’une racine du moi si celle-ci est séparée de l’expérience psychosomatique et du narcissisme primaire. C’est exactement là que commence l’intellectualisation des fonctions du moi. On notera à ce propos que tout cela se situe temporellement bien avant que se soit édifié ce quelque chose qu’on pourrait à bon droit appeler le Self. »

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