art cru circus melanie

Circus Mélanie : Hommage à Mélanie Klein

Des théoriciens pour travailler
Quelques outils bien concrets et indispensables à portée de la main
pour la conduite de l'animation des Ateliers d'Art CRU

Exposition d'idées de Guy Lafargue pour les étudiants en formation
de praticiens d'Ateliers d'Expression Créatrice centrés sur le soin à la personne

@

Impertinences affectueuses (dans affectueuses, il y a le signifiant "tueuse") sur la déjantée de la psychanalyse : Mélanie Klein.
Quelques outils bien concrets et indispensables à portée de la main pour la conduite des Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques

@

Hier soir, vers 20h45, alors que je bûchais pour vous mon scoop sur la nana number one de la psychanalyse post freudienne - Mélanie Klein - ARTE lançait sur l'écran ce joli conte psychanalytique d'Alfred Hitchcock tourné en 1945 :"La maison du Dr Edward", dans lequel la superbe Ingrid Bergman (une autre super nana fabuleuse de l'autre siècle) tient le rôle de Mélanie Klein.

https://www.youtube.com/watch?v=g9eOMCZyBiI

Dans l'histoire institutionnelle de la psychanalyse (entre 1932 et 1950), Mélanie Klein a joué le rôle de la boule dans le jeu de quille, le jeu de quille représentant les sociétés de psychanalystes du vieux continent à forte densité masculine.

Pour ceux d'entre vous que cela intéresserait de creuser de ce coté de l'histoire, je recommande la plongée dans quelques ouvrages dont : "Mélanie Klein" de Julia Kristéva (Coll. Le génie féminin, Fayard Ed.) ; et "Le génie clinique de Mélanie Klein" du dénommé Inshelwood (Ed.Payot, coll."Désir"), un anglais amoureux de la pensée de Mémélanie.

Et naturellement, pour nourrir le travail de la pensée théorique, les livres de Mémélanie elle-même, - "L'amour et la haine" pour les novices, (Payot ED.) et "Envie et gratitude" (NRF Ed.). Et enfin le must, le pavé de référence du dénommé Inshelwood: " Dictionnaire de la pensée Klenienne".

Quant à moi, je vais centrer mon exposé de synthèse dans la perspective suivante, qui est de prendre en compte le caractère difficile voire hermétique de la pensée Kleinienne. Et donc, de tenter le pari d'extraire d'une matière relativement abstraite (lorsqu'on ne possède pas les pré-requis permettant de se déplacer dans cette complexité sans en perdre le suc), une représentation concrète faisant liaison avec votre expérience. D'articuler ces concepts à notre préoccupation centrale ici qui est la conduite des Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques, et la prise en main d'outils théoriques pour travailler dans une certaine lucidité sur ce qui se passe.

J'en profite pour rappeler au passage que l'étymologie du mot "théorie" vient du verbe grec "théorein " qui signifie "observer ". Et donc, que la théorie, c'est une façon de mettre de l'ordre dans les observations faîtes sur les phénomènes ... et, pour ce qui nous concerne, sur les phénomènes qui se développent au sein des Ateliers d'Expression Créatrice.

Je souligne bien la présence du terme Créatrice indissolublement liée aux termes Ateliers d'Expression, qui constitue l'Objet institutionnel de la formation que nous donnons ici.

Donc, la théorie Kleinienne et ses articulations à la question de l'animation des Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques par où elle nous concerne de très près.

Nous aborderons successivement huit plans d'expérience constituant l'essentiel de la théorie Kleinienne et nous laisserons de coté d'autres aspects théoriques à caractère plus spéculatif.:

  1. La définition de la vie fantasmatique.
  2. Les mécanismes constituants de la vie psychique : projection et introjection.
  3. Les relations objectales
  4. La question des pulsions destructives: envie et avidité
  5. Les mécanismes de défense contre les angoisses les plus profondes
  6. La technique Kleinienne du jeu VI:Le transfert et le travail de l'interprétation
  7. La créativité

@

I. La vie fantasmatique

Le fantasme est un mot. Un mot de la vie ordinaire de chacun de nous, que nous prononçons la plupart du temps lorsque nous évoquons de trucs relatifs à l'exercice de la sexualité.

Yolande Parrou Tarot de la connaissance psy de Guy Lafargue

Yolande Parrou "Tarot de la connaissance psy" de Guy Lafargue

Que savons-nous de ce que c'est qu'un fantasme?

Quelle représentation nous en faisons-nous ?

C'est très important d'en avoir une idée au moins approximative lorsque nous nous préparons à créer et à conduire un cadre dans lequel l'activité fantasmatique des personnes avec lesquelles nous travaillerons va s'engager de façon permanente dans le jeu de l'expression créatrice, et dans des degrés d'intensité affective susceptibles de nous poser les problèmes qui constituent notre métier.

Comme point de départ, je vous propose de considérer le fantasme comme un scénario, comme une sorte de script qui se manifeste dans une forme psychique, c'est à dire imaginaire, c'est à dire sous la forme d'une séquence faite d'images mentales liées en une unité dramatique, avec une ouverture, une action dramatique centrale et une conclusion.

On pourrait dire que le fantasme - petite scène psychique de durée subjective et de complexité variable - constitue une unité narrative, un récit autour d'un thème central concernant (comme nous l'a enseigné la psychanalyse) les échanges érogènes ou pathogènes à prédominance orale, anale, génitale ou autre.

Le développement de ce scénario a toujours une couleur affective (la couleur est le langage de l'affect) , c'est à dire qu'il est toujours affecté d'un coefficient de plaisir ou d' douleur et d'angoisse, en des intensités variables.

Les "phantasmes" (originaires), sont les premières manifestations mnésiques avant le constitution de la vie psychique enfantine (dans la période périnatale). Ils sont le premier stade de la formation des images psychiques (protopsychiques). Ils sont saturés en sensations, en "mnésies" marquées par le caractère impérieux des besoins et des affects originaires : faim, douleur, angoisses d'abandon, de mort. Ils constituent les strates originaires de la future activité de représentation psychique. Ils sont marqués de l'adhésivité symbiotique dans laquelle il n'y a encore ni sujet, ni objet.

Ce n'est qu'après la période transitionnelle (telle qu'elle a été définie par Winnicott que l'enfant devient capable de différencier l'objet (la mère) de son propre être. Il devient capable de se représenter sa mère en son absence. Il développe alors une intense activité psychique créatrice dont les "fantasmes" constituent l'album imaginaire au travers duquel il s'explique à lui même sa relation au monde. Ses créations psychiques lui servent "à rendre homogène à sa propre expérience du monde ce qui lui est hétérogène "( Piera Aulagnier : "La violence de l'interprétation").

Dans un fantasme co-existent toujours une structure narrative (ce qui apparaît, le script) et une qualité et une intensité affective (les éprouvés affectifs attachés à la représentation qui ne sont pas immédiatement identifiables par le sujet et encore moins par l'animateur).

Pour Mélanie Klein, d'une part le fantasme est la traduction au plan psychique des motions instinctuelles, et il intègre d'autre part les mécanismes de défenses érigés contre ces motions (Hinshelwood p.40).

On peut donc considérer que les fantasmes sont la représentation psychique d'une sorte d'état de compromis entre des motions pulsionnelles, désirs, instincts du sujet et le frein à leur réalisation ou 1 t empèchement de leur expression quelles qu'en soient les causes: environnementales ou subjectives.

Mélanie Klein suivant en cela les travaux de Freud désigne un plan d'activité fantasmatique qui entre dans le champ de la perception du sujet, en quelque sorte des fantasmes ciné(ma)tiques (fantasmes conscients, rêverie éveillée, souvenirs de rêves) qui se prêtent en quelque sorte au récit ( et dont on fait couramment l'expérience dans l'activité de création) et un groupe de fantasmes inconscients qui sont à la base de tous les processus mentaux, qui accompagnent toute activité mentale et dont la finalité selon Mélanie Klein est la satisfaction hallucinatoire du désir. Selon elle cette activité est permanente chez le nourrisson. En cela elle marque une différence radicale avec la théorie de Freud qui envisageait l'émergence du fantasme comme essentiellement réactionnelle à la frustration de la réalisation des motions pulsionnelles.

Pour Freud, le sujet fabrique un fantasme lorsque la décharge motrice n'est pas possible.

Pour Mélanie Klein, le fantasme inconscient est constituant de toute expérience de la réalité.

II constitue pourrait-on dire le milieu mental permanent dans lequel viennent s'insérer les événements de la réalité somatique.

L'activité fantasmatique inconsciente serait donc originaire et soutiendrait la totalité de la vie psychique à ses débuts, et tout au long de l'existence du sujet.

Une des élèves de Mélanie Klein, Suzan Isaac, a orthographié phantasme avec ph pour désigner ces formes psychiques de première génération (liés aux premiers vécus affectifs d'incorporation, de fusion, de destructions sur lesquelles s'édifieront par la suite les fantasmes de deuxième génération, ceux abordés par Freud (autour de la relation œdipienne), et toute l'organisation de l'expérience psychique ultérieure.

@

En quoi la vie ph(f)antasmatique, dans son aspect archaïque ou dans son aspect plus secondarisé nous intéresse-t-elle ici? La réponse est double :

  • d'une part parce que l'activité de création et le jeu avec les matières permettent la scénarisation concrète, physique, des fantaisies et fantasmes psychiques et offrent une possibilité de mettre en forme et de laisser trace là où l'expérience fantasmatique s'évapore; et que cela va donner un socle à l'activité de penser à partir de cet événement nouveau: la trace dépositaire de l'affect inconscient ou du fantasme cinétique.
    Cela est vrai en particulier pour les fantasmes de deuxième génération.
  • d'autre part, l'espace de projection plastique et c'est selon moi le plus intéressant, l'espace de projection créatrice va devenir le lieu d'un mode d'activité phantasmatique non représentable dans l'expérience psychique et qui concerne les expériences affectives originaires et les défenses associées.

@

II. Les mécanismes de base constituants de la vie psychique

Introjection et Projection

Il s'agit là de deux mécanismes constituants/constitutifs de l'expérience psychique et de cette partie de la psyché que les psychanalystes ont appelé le Moi, le Moi étant une instance au service de l'instinct de vie, et, en quelque sorte, le lieu virtuel où se mettent en représentation psychique les rapports que le sujet entretient avec son environnement d'Objets attractifs ou répulsifs.

Le Moi, pour Mélanie Klein, est inné, et l'une de ses fonctions majeures est précisément la défense contre les pulsions destructives (manifestations de l'instinct de mort) et leur évacuation vers l'extérieur.

Ces deux processus projection et introjection se développent en prenant appui sur deux fonctions primordiales du corps que sont l'incorporation du sein dans la bouche au cours de la tétée et l'expulsion de la merde et du .sentiment de bienfaisance dont cela s'accompagne.

Le sein - Objet externe - devient dans la mémoire somato-affective un sein/bouche, organe subjectivement unique, producteur de satisfaction pulsionnelle et de résolution de la douleur orale.

Ces deux opérations vitales, input/output, constituent en quelque sorte la matrice, le prototype, de tous les comportements ultérieurs du sujet liés à des situations vitales où il s'agira de prendre des objets externes à l'intérieur (le bon objet) ou de rejeter à l'extérieur des matériaux physiques ou psychiques encombrants ou dangereux, à un titre ou à une autre, (mauvais objets).

Dans l'introjection, donc, les objets externes, en particulier les objets d'amour et leur prototype - le sein deviennent des parties du moi, des Objets internalisés, avec lesquels, en leur absence, le sujet poursuit un dialogue phantasmatique.

Dans la projection, le sujet, littéralement, expulse en dehors du Moi les expériences insatisfaisantes, douloureuses ou angoissantes.

Généralement il les expulse sur l'Objet le plus proche et le mieux capable de les recevoir, c'est à dire; au début, la mère dont c'est une partie de la fonction que d'héberger les expulsions phantasmatiques de son bébé sans lui retirer le bon Objet dont il dépend. Il préserve ainsi un état de moindre tension interne dans sa relation aux mauvais objets internes ou aux mauvaises parties du Moi.

C'est dans ce mouvement que se construisent ce que la psychanalyse a pérennisé sous le nom de relations objectales.

Selon Férenczi (qui est le créateur du concept d'introjection et le psychanalyste qui a formé Mélanie Klein), la névrose se construirait sur la base de mouvements d'introjection excessive, là où l'expérience psychotique s'édifierait sur la base de mouvements de projection excessive.

Sur la base de ce double mouvement centripète (oral) et centrifuge (anal) va se développer un mécanisme actif dans la construction du Moi que l'on appelle l'identification.

Dans l'univers Kleinien, au début, les phantasmes originaires sont la réalité. Il y a confusion entre le Soi et l'Autre, (par exemple, entre la bouche et le sein, il n'y a pas de discontinuité). Le phantasme et le monde sont dans un état de relative indifférenciation, sont en quelque sorte la même entité, l'id-entité, l'id/le même étant, une sorte de mimésis, un mode d'appropriation des qualités de l'Autre comme qualité du Soi. L' "id ", c'est le même ; et l'entification , c'est un mot dérivé du mot entité, du participe présent du verbe être - l'étant.

En quelque sorte, l'identification, ça serait l'édification de l'être ( l' êtrification) , c'est à dire la constitution du Soi comme forme psycho-affective de la chose charnelle, des éprouvés de corps sans représentation.

A partir d'un moment, très tôt, le bébé devient producteur d'id…d'idées (étymologiquement, l'idée est "l'apparence, l'image, la forme mentale des choses", la "représentation ").

Le bébé construit sa représentation de Soi par introjection mimétique des éléments sensoriels et langagiers associés aux évènements affectant son expérience corporelle.

C'est sur ce process originaire que j'ai appelé quelque part la mêmification que le bébé va commencer à explorer le monde des objets, se mêmifiant aux objets qui lui procurent bien-être et plaisir, et détruisant/rejettant les Objets néfastes dans l'action corporelle et dans le phantasme.

A partir de la mise à jou(i)r de ce processus inaugural de la formation de l'id-entité, va se développer un autre mécanisme, que Mélanie Klein a appelé l'identification projective, elle-même liée à ce qu'elle a appelé les processus de clivage :

  • clivage de l'Objet , c'est à dire de séparation des caractéristiques bonnes et mauvaises de l'Objet, qui va permettre au sujet de préserver les identifications satisfaisantes et de projetter sur autrui une partie désavouée du Moi, qui est attribuée par le sujet à une autre personne et est totalement récusée comme constituante du Soi.
  • Et clivage du Moi, c'est à dire fragmentation du Moi qui a pour effet d'atténuer la charge affective en détruisant fantasmatiquement les mauvais fragments (mécanismes de déni, comme dans le rêve, ou dans le conte merveilleux, ou les mauvaises parties du Soi ou de l'Objet sont représentées par des personnages étrangers perçus par la conscience du sujet comme étrangers, atténuant ainsi l'intense culpabilité liée aux motions destructives).

Ces processus psycho-plastiques sont particulièrement actifs dans l'expérience créatrice dans ce jeu incessant de va-et-vient, de double mouvement, de projection des images psychiques préexistantes dans les matières/supports et guidés par une intentionalité consciente, et de condensation psychique consécutive à une projection guidée directement par l'état affectif actuel, une production de première main si l'on peut dire, productrice en retour d'une activité imaginaire nouvelle ou d'une activité de pensée.

C'est à dire d'un jeu émergent, à proprement parler créateur.

@

III. Les pulsions destructives

Envie et Avidité

Un grand débat articule ici plusieurs concepts ligotés entre eux qui tournent tous autour de la figure totémique de l'instinct de mort, génératrice de l'angoisse primordiale et de la constitution du Moi comme bunker. J'exagère à peine.

Chez Mélanie Klein, la scène théorique est un peu construite comme les tragédies grecques, enfin, c'est une image pour dire qu'ici, le héros, c'est l'Instinct de mort "tout entier à sa proie attaché" comme disait une des femmes calcomaniée par Jean Racine (Hermione peut-être, à moins que ce ne soit Andromaque, en tout cas une de ces femmes typiquement kleinienne puissamment agitée par l'amour et la haine). A savoir que, dans le script biologique, l'expression de l'instinct de mort à l'intérieur attaque directement un Moi encore précaire et déclenche une angoisse primordiale source de l'expérience affective la plus ancienne et la plus pénible dont le bébé fait l'épreuve irrémédiable à la naissance, épreuve constante et qu'il a à résoudre: la menace d'anéantissement du Moi et de l'Objet.

Et M.K. dit clairement que l'issue à cette calamité constitutionnelle, c'est dans la qualité et le degré de cohésion de l'instinct de vie, soutenus par l'amour de la mère, que le bébé la trouvera. Si la mère n'apporte pas ce soutien, où si elle est trop folle pour s'occuper de son bébé, le destin du bébé s'engage sous de bien mauvais augures.

C'est donc un monde dualiste, type Play Station avec les Antagonistes héréditaires campés chacun sur leurs machine désirante et destructrice, qui envahissent la scène interne du sujet pour un combat à l'issue incertaine.

Les machines de guerre bricolées par Thanatos : l'envie et l'avidité

Pour Mélanie Klein, la conduite envieuse, ou pulsion envieuse, présente trois aspects définitifs : elle est innée, constitutionnelle et irréductible :

"L'envie est une manifestation sadique-orale et sadique-anale des pulsions destructives.

Elle intervient dès le commencement de la vie et elle a une base constitutionnelle " (p11) "L'envie implique la relation du sujet à une seule personne, qui remonte à la toute première relation exclusive à la mère "(p.11) Ce sentiment vise directement à s'emparer de l'Objet convoité et à lui faire subir des dommages :

" L'envie est le sentiment de colère qu'éprouve un sujet quand il craint qu'un autre ne possède quelque chose de désirable et n'en jouisse ; l'impulsion envieuse tend à s'emparer de cet Objet et à l'endommager " (p.18).

Pour le nourrisson le sein est cet Objet et il semble que cet autre soit la mère.

Pour Mélanie Klein, le mécanisme de la projection est directement lié à l'envie en ce sens que, par une stratégie non-consciente, le sujet évacue sur l'autre ses pulsions destructives. Elle voit dans l'envie la force la plus destructrice dans la mesure où elle compromet en premier lieu le lien primitif avec la source de satisfaction des besoins , la mère : " L'envie est le facteur le plus actif pour saper à leur base même l'amour et la gratitude dans la mesure où elles s'attaquent à la plus archaïque de toutes les relations humaines : la relation à la mère " (p.11).

L'enfant concentre ses premières attaques sur le sein nourricier, paradoxe qui peut devenir désastreux puisque ce sein lui apporte concrètement de la vie : " Le sein est le premier Objet à être envié par l'enfant. Ce sentiment ne fait qu'intensifier sa haine et sa revendication et perturbe ainsi sa relation à sa mère " (p.21).

La conséquence de ses attaques est multiple: elle ne favorise pas l'enracinement d'une bonne image intérieure: " l'envie contribue à rendre l'élaboration du bon Objet difficile à l'enfant " (p.17).

En outre: " Le sentiment d'avoir endommagé et détruit cet Objet primitif ébranle la confiance du sujet : il doute de sa sincérité dans ses relations ultérieures, de sa capacité d'aimer et d'éprouver de la bonté " (p.29).

Une des façons dont cette envie se manifeste consiste, pour le nourrisson et par le moyen de mécanismes projectifs, à investir le corps de la mère de toute cette négativité encombrante et douloureuse:

" L'envie tend en outre à introduire dans la mère, avant tout dans son sein, tout ce qui est mauvais, et d'abord les mauvais excréments e t les mauvaises parties de soi afin de la détériorer et de la détruire " (p.18).

L'envie excessive

Mélanie Klein distingue entre l'envie "primordiale" et les formes différentes qu'elle affectera par la suite, notamment dans ses dimensions excessives.

Elle en attribue la responsabilité à des mouvements persécutifs et dissociatifs particulièrement virulents: "Les formes excessives que peut revêtir l'envie dénotent que les éléments paranoïdes et schizoïdes sont particulièrement intenses" (p.21).

Mélanie Klein consacre la totalité du chapitre quatre à examiner les conséquences d'une envie excessive. Je vous en propose la synthèse suivante.

Dans les attaques envieuses du sein de la mère, le nourrisson ressent qu'il endommage sa source de gratification et de ce fait en ressent une culpabilité normale.

Si ces attaques deviennent excessives, la culpabilité se renforce et devient insupportable. Le Moi, dont c'est la fonction, clive alors la pulsion et la projette sur l'Objet, renforçant son pouvoir de persécution.

De ce fait, le nourrisson est entraîné dans une situation confusionnelle entre l'angoisse paranoïde et l'angoisse dépressive dont l'aboutissement normal devrait être la translaboration, c'est à dire un état de perception nuancée de la réalité globale.

Si les sentiments paranoïdes et les mouvements dissociatifs sont renforcés par une culpabilité précoce trop forte, il y a échec de la translaboration.

Une deuxième conséquence de l'envie excessive porte sur les intéractions entre les manifestations libidinales spécifiques et les zones de leur expression corporelle appropriée :

  • L'envie excessive s'oppose aux gratifications orales.
  • Elle stimule en les intensifiant les tendances et désirs génitaux.
  • Un double glissement se produit alors : d'une part on assiste à une imprégnation génitale de la relation orale investie sur un mode d'agression ; et, d'autre part les revendications et les anxiétés orales se déplacent dans la sphère génitale.

Mélanie Klein tire cestteleçons de son travail avec les enfants : que les sensations et désirs génitaux peuvent entrer en action dès la naissance.

Si une certaine confusion et un certain chevauchement entre pulsions et fantasmes oraux, anaux et génitaux sont tout à fait inévitables, donc normaux, durant cette période, lorsque les pulsions envieuses deviennent trop intenses, cette confusion entraîne un empiètement d'une tendance sur l'autre dans les lieux où celle-ci devrait être dominante en regard d'un développement normal.

Ce chevauchement empêche la prédominance d'une tendance à son stade évolutif correspondant, ce qui va avoir une répercussion parfois désastreuse sur la totalité de l'organisation de la vie sexuelle et du système des sublimations.

La génitalité va s'exprimer comme un mode de fuite des exigences orales qui sécrètent l'envie, et la génitalité elle-même va être empreinte de la méfiance et des déceptions liées aux altérations de la jouissance orale.

Mélanie Klein voit dans ce mécanisme l'origine ; de la masturbation compulsionnelle : " le manque de jouissance primaire introduit des éléments compulsionnels dans les désirs génitaux et peut mener à ['envahissement de toutes les activités, de tous les processus de pensée et des intérêts les plus divers par les sensations sexuelles " (p.39)

L'avidité

Le sentiment corollaire de l'envie est l'avidité.

Pour Mélanie Klein " L'avidité est la marque d'un désir impérieux et insatiable qui va à la fois au-delà de ce dont le sujet a besoin et au-delà de ce que l'Objet peut ou veut lui accorder" (pI8).

Le but de cette conduite avide:

"Au niveau de l'inconscient l'avidité cherche essentiellement à vider, à épuiser

ou à dévorer le sein maternel. Son but est une introjection destructive " (p.I8). Pour Mélanie Klein l'avidité est plus spécifiquement liée au mécanisme d'introjection, là où l'envie est liée au mécanisme de projection.

La conséquence pour l'enfant de ses tentatives d'introjection dévorante de l'Objet est l'éclatement et la dissolution de son Moi :

"L'intériorisation avide et dévorante de l'Objet - en premier lieu du sein maternel - s'accompagne d'un véritable morcellement du Moi et de ses Objets.

Le Moi disperse ainsi les pulsions destructives et les angoisses internes de persécutions ".

Quel est l'intérêt pour nous, dans le travail des Ateliers d'Expression Créatrice, de la connaissance et de la prise en considération de ces deux forces affectives majeurs?

Et bien tout simplement parce que le travail de la représentation créatrice est indissociablement lié à l'investissement affectif dont elle va être, justement la représentation.

Nous travaillons ici sur l' hypothèse que l'aire du jeu créateur constitue un appel puissant à l'émergence des signifiants, en premier lieu au travers de l'investissement affectif que l'on appelle le transfert.

Toute une partie du travail du praticien va être de permettre l'engagement de ces forces dans le jeu de la représentation créatrice : l'expression affective médiatisée est la loi qui organise le fonctionnement de l'Atelier et qui détermine le rôle de l'animateur.

@

De quelles ressources dispose le sujet pour faire face à ces forces affectives destructrices?

IV. Mécanismes de défense

Mélanie Klein aborde ensuite la description d'un certain nombre de mécanismes essentiels de protection du Moi contre l'expérience de la destructivité interne. Je me bornerai ici à en retracer la description et à en définir brièvement les caractéristiques :

Les mécanismes paranoïdes/schizoïdes

Donc, t'auras compris que " Chaque fois que l'angoisse surgit, elle est de nature paranoïde, e t les défenses qui se dressent contre elle, de nature schyzoïdes "(p.33).

Au centre des mécanismes paranoïdes se trouve l'angoisse de persécution, qui "constitue les couches les plus profondes du psychisme "(p.80-84).

Ça, c'est donc une idée trés forte, comme quoi l'activité psychique originaire est déclenchée par un éprouvé persécutoire qui va donner naissance aux premières formations de phantasmes qui sont, à proprement parler, des protoreprésentations intermédiaires entre des réactions purement somatiques, et les formes psychiques élaborées auxquelles le jeune enfant parviendra à la fin de cette première période de son existence.

@

Le travail du clivage

Le concept de "clivage" constitue un des concepts centraux de la théorie Kleinienne.

Il s'agit d'un processus de défense contre les sentiment paranoïdes (persécutoires), qui consiste :

  • soit à séparer fantasmatiquement les propriétés affectives des Objets pour extraire de soi les mauvaises parties incorporées ;
  • soit à fragmenter le Moi lui-même en le séparant en partie mauvaises détachables et expulsables, et en partie bonnes, protectrices, incorporables, le but étant toujours le même : neutraliser les aspects menaçants de l'Objet ou du Moi.

C'est par le mécanisme du clivage que vont pouvoir jouer les processus identificatoires et les processus projectifs.

La position paranoïde et la position dépressive

Mélanie Klein s'attache à décrire l'évolution du bébé dans les premiers mois de ce conflit existentiel entre pulsions antagonistes.

Les deux principaux moments de cette évolution sont constitués par la position paranoÏde/schyzoïde et par la position dépressive.

La position paranoïde est caractérisée par une utilisation prévalente des mécanismes de dérivation des pulsions destructives sur l'Objet assimilé de ce fait à un Objet persécuteur.

Cette position est à la fois résolutoire, puisqu'elle évacue les tensions (sur un mode hallucinatoire) ; et, simultanément, elle est source de conflit et de culpabilité.

L'Objet persécuteur est attaqué en même temps qu'il est envié. Et, parce qu'il est envié, cela est source d'angoisse et de détresse.

Pour ce protéger de ce choc en retour le nourrisson adopte des conduites dissociatives schyzoïdes qui ont pour effet de disperser les pulsions, de les cliver et d'en atténuer l'intensité.

Là où l'angoisse est de nature persécutive, les défenses sont de nature dissociatives. C'est là à proprement parler la position paranoïde/schyzoïde.

La position dépressive "s'installe vers le deuxième trimestre de la première année, et atteint son point culminant vers le sixième mois "(p.37).

Cette position est l'amorce de la phase résolutoire des conflits de la phase précédente dus à l'indifférenciation du nourrisson vis à vis du corps de sa mère et de ses pulsions propres. En quelque sorte, le nourrisson fait le deuil de la confusion: il accède à l'Objet global; il commence à établir la distinction entre la réalité interne et la réalité externe; il élargit le champ de ses relations d'Objet, ce qui va le conduire vers les manifestations précoces du conflit oedipien.

Le besoin de réparation des conduites d'endommagement de l'Objet s'affermit.

L'angoisse proprement" dépressive " de cette période porte sur l'angoisse de perdre la mère du fait de ces attaques qu'il lui porte. Cette période se termine normalement par l'établissement d'une introjection stable de l'Objet aimé.

Ce que Mélanie Klein appelle la position dépressive est pour le bébé une façon d'accepter de faire le deuil des modes de jouissance originaires, c'est à dire de renoncer aux satisfaction charnelles primitives pour s'aventurer dans de nouveaux modes de jouissance non plus "à l'Objet" mais "de l'Objet" dans une distance conquise au prix de ce sentiment de perte acceptée. qui ouvre à de nouvelle modalités de la satisfgaction érogène/érotique

@

V. La technique thérapeutique

Dans son livre "Envie et gratitude", Mélanie Klein parle très peu de sa technique analytique ; en particulier des adaptations de la cure-type au cas particulier de la thérapie de tous jeunes enfants.

C'est dans un autre livre, "Le transfert et autres écrits", qu'elle détaille la "technique de jeu psychanalytique", qui, à bien des égards ressemble à un mini-atelier d'expression centré sur le jeu spontané.

Les principaux éléments de la doctrine Kleinienne concernant la technique de jeu sont les suivants :(Inshelwood, p 19).

  1. "Le jeu chez. l'enfant est l'équivalent de l'association libre chez. les adultes" .
  2. " Le jeu est une forme d'externalisation des préoccupations internes, et surtout d'une préoccupation pour des relations à des Objets que l'on croit exister à l'intérieur de soi "
  3. Il s'agit pour le psychanalyste, au travers de l'interprétation des angoisses les plus profondes (inconscientes) mises en représentation dans le jeu, " de comprendre l'esprit du patient, et à lui communiquer ce qui s'y passe" ("Transfert et autres écrits" p.34).

Cette communication modifie significativement et positivement l'angoisse du sujet et l'ouvre à une relation moins défendue. Elle élargit le champ de la création fantasmatique et de son libre écoulement dans le jeu.

Vous comprendrez l'intérêt de ce point de vue pour l'Atelier d'Expression Créatrice à visée thérapeutique, qui est bien entendu une structure différente de celle du travail psychanalytique du point de vue des formes du jeu et des modes d'action de l'analyste/thérapeute.

Mais il y a un socle solide commun aux deux situations, à savoir que le jeu dont il est question dans l'Atelier d'Expression Créatrice est le jeu de création.

L'expérience créatrice est pour l'adulte, aussi bien que pour l'enfant d'ailleurs, un mode de libre représentation de l'expérience affective inconsciente du sujet.

Ça, c'est un roc fiable sur lequel appuyer notre propre mise en jeu du cadre expressionnel, surtout lorsque nous sommes appelés à l'engager dans la dimension du soin analytique.

@

VI. Le travail du transfert

Un autre socle commun avec la doctrine Kleinienne, est que le développement de l'expérience créatrice dans l'Atelier d'Expression est inéluctablement inscrit dans le développement des processus de transfert que les personnes vont investir sur l'aire de jeu singulière de l'Atelier et de ses différentes composantes. C'est à dire que le jeu de création va s'inscrire comme mise-en-représentation des investissement affectifsdu cadre, de l'animateur/analyste et des médiations créatrices privilégiées, investissements que le sujet consent à engager et qu'il va concentrer de façon prévalente soit sur la médiation, soit sur le cadre, soit sur l'animateur, soit sur le groupe ou sur l'un ou l'autre des participants comme figures originaires de la constellation familiale.

Mélanie Klein va développer dans "Les origines du transfert" son point de vue :

  • " Il n 'y a aucun besoin instinctuel, aucune situation d'angoisse, aucun processus mental qui n'implique des Objets externes ou internes; en d'autres termes, les relations d'Objets sont au centre de la vie émotionnelle ". (p 19)
  • "Le Transfert prend naissance dans les mêmes processus qui, dans les stades les plus précoces, déterminent les relations d'Objet" (p. 20)

Si socle commun il y a sur ces deux dimensions de la création comme équivalent du processus associatif dans le travail analytique / thérapeutique, et de l'organisation du cadre de l'Atelier, il nous reste à saisir ce qui va différencier fondamentalement l'intervention analytique d'un psychanalyste/thérapeute de celle de l'animateur/thérapeute au sein de l'Atelier d'Expression Créatrice.

@

Je voudrais ouvrir ici une parenthèse sur la question du travail de l'envie, de l'avidité et des processus de transfert sur le vécu groupaI de l'Atelier (et sur les institutions).

Les travaux sur la dynamique des groupes, d'inspiration psychanalytique aussi bien que psycho-sociologiques ont mis en évidence la réalité groupale comme instance phantasmatique originaire, et comme imago maternelle.

Le groupe en tant qu'il se forme et se développe comme unité stable dans un travail de production imaginaire et fantasmatique (ce qui est le cas des Ateliers d'Expression Créatrice), favorise de façon importante la mobilisation des phantasmes originaires et des défenses que nous avons évoquées.

@

Les modalités opératoires du travail d'intégration
de l'expérience créatrice/analytique :
interprétation, perlaboration et translaboration

Mélanie Klein a donc développé autour de la création de l'aire de jeu avec des jouets, comme équivalent de l'aire de travail psychique pour l'adulte, un mode d'intervention interprétatif visant à communiquer au patient ce qu'il donne à voir et à entendre dans son jeu de ce qui traverse son expérience la plus profonde.

Une sorte de lecture directe, CRU, en miroir de ce qu'y inscrit explicitement le sujet, ce qui a pour effet immédiat d'introduire, dans l'expérience subjective du sujet, l'éprouvé qu'il est réellement écouté dans sa parole et qu'il est compris au plus juste de l'angoisse qu'il exprime dans l'énonciation symbolique dans le jeu.

La question de l'interprétation chez Mélanie Klein a été la source de grands conflits au sein du mouvement psychanalytique.

L'interprétation constitue pour Mélanie Klein la participation fondamentale de l'analyste/thérapeute à l'intégration de l'angoisse, des pulsions destructives et au démentellement des défenses qui en découlent.

Le but de la thérapie psychanalytique vise pour Mélanie Klein au contrôle et à l'endiguement des pulsions mortifères par le Moi.

Elle insiste en particulier sur la nécessité " d'analyser de façon répétée les angoisses et les défenses liées à l'envie et aux pulsions destructives pour faire progresser l'intégration... Seul l'analyste, à force d'analyser leurs sentiments hostiles dans le transfert peut leur permettre de revivre ces sentiments dans leurs premières relations affectives, réduisant ainsi le clivage du Soi " (p.89). "Ce n'est qu'en touchant aux couches les plus profondes de l'envie que l'analyse a des chances d'avoir son plein effet". (p.30).

@

Je vais ici faire un petit détour buissonnier.

Dans le chapitre VII des "Écrits techniques de Freud", Jacques Lacan aborde une problématique qui m'est particulièrement chère, mitoyenne de celle des interventions parlantes (ou créantes) de l'animateur dans l'Atelier d'Expression. Cela concerne les dits de l'animateur/analyste au sujet en regard de son jeu, de son action avec les objets/jouets.

Lacan évoque la chose au sujet du travail analytique de Mélanie Klein (qu'il taxe au passage d'opérer "avec la dernière brutalité ", p.81) avec un petit garçon, "le petit Dick", enfermé dans une position autistique, au moyen de ses interventions verbales symbolisantes.

Dans l 'histoire rapportée, l'enfant, qui fait entrer un petit train dans une gare, entend dire par Mélanie Klein ce dont il est préoccupé du coté de la libido : "Dick est le petit train, et il veut entrer dans maman". A la suite de quoi, le garçon sort de l'impasse autistique où il s'était réfugié, et il commence à avoir besoin de sa nourrice.

La préoccupation centrale de ce chapitre porte avec précision sur le caractère opérant de l'énonciation interprétative.

Jacques Lacan nous donne sa version de ce qui opère la mutation du garçon, du processus mutatif qui s'engage à partir de ce moment où l'analyste reconnait et dit dans-sa-bouche-à-elle ce dont il est question dans-son-expérience-affective-à-Iui, c'est à dire la nécessité où il se trouve d'occuper l'espace interne de la mère, et d'être entendu dans cette nécessité angoissante.

C'est cela qu'a tout d'un coup compris de façon empathique Mélanie Klein et qu'elle réverbère à l'enfant dans un véritable acte de Parole, qui est ici la reconnaissance adressée à l'enfant, à voix haute, de la partition (du signifiant) qu'il lui donne à "interpréter": " l'accollement du langage à l'imaginaire du sujet" dit Jacques Lacan (le "langage de la zone érogène du corps" dit Françoise Dolto) c'est à dire l'extraction symbolique de la donne imaginaire du sujet dans son jeu, par où l'analyste ou l'animateur/thérapeute ne fait de façon sensible que prendre acte de ce qui est là , et que personne d'ordinaire ne voit : la nécessité où cet enfant trouve d'être perçu/accepté/compris comme encore affectivement/phantasmatiquement lié à l'espace interne de la mère.

Ce qui déclenche l'attention de l'enfant, ce qui met en alerte, qui effracte les défenses autistiques, et fait émergence de son humanité, c'est que quelqu'une, qui est le contraire d'une brute, très émue par la détresse de cet enfant, écoute sa personne (comme dirait Dolto), et, en quelque sorte, est son porte-parole, à lui qui a renoncé à toute parole et qui reste muré dans le monde des objets non-humains, que c'est cela qui est opérant, mutatif.

C'est ça, le facteur opérant, ce que Carl Rogers appelle l'empathie, cette saisie non-médiate du cadre de référence interne de l'autre, et la communication qu'il en donne au sujet dans des termes qui n'en déforment pas la structure, en l'occurrence ici, la reformulation symbolique de l'expression non-médiate de l'enfant avec les objets qui sont, pour lui, de pures motions affectives, des représentations du Réel.

On retrouve exactement la même structure dans le livre de Winnicott consacré à la psycho-analyse d'une enfant de deux ans, "La petite PIGGLE" ( (PAYOT, Ed.): "Ce qui importait, dit Winnicott, c'était avoir l'expérience d'être comprise" (p.73).

Et moi j'ajouterai que c'est probablement ainsi que la chose se passe pour l'artiste, en tout cas qui est ainsi espérée, dans ce moment de vérité de l'exposition, dans ce moment de parole publique où il engage son œuvre dans le regard de l'Autre, des autres et attend de lui, d''eux, cette expérience empathique d'être fondé, d'être révélé dans son être, par l'interprétation à ciel ouvert de la partition inconsciente qu'il offre au travers de l'œuvre reconnue par l'Autre par où il peut se constituer comme sujet.

Pour en revenir à Dick,
c'est quand cet enfant entend les mots qui sont la représentation de son état affectif qu'il peut commencer à penser et à exprimer une demande de soin.
Le démarrage du processus de croissance inauguré ici, c'est la mise au travail de ce que Carl Rogers appelle "la tendance à l'actualisation de Soi"

@

Ceci nous amène insensiblement à la question de l'interprétation dans le cadre des Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques.

Qu'est ce qu'interpréter dans ce cadre où l'expérience créatrice est fixée comme scène centrale pour l'expression du sujet, et où est ouvert le temps de parole comme lieu d'élaboration de l'expérience vécue?

Cadre dans lequel l'expression du sujet est répartie sur deux aires de représentation: celle du jeu créateur et celle de l'élaboration de l'expérience vécue dans le temps de parole? La réponse à cette question est, bien entendu, qu'il n'y a pas de réponse dans le champ d'un savoir préétabli. La réponse à cette question ne peut faire l'objet d'un enseignement. magistral.

La seule chose que je puisse en dire ici, c'est que l'aventure expressionnelle/analytique est inscrite dans la construction progressive du sens, de cette connaissance issue de l'expérience, de ce savoir qui se donne à élaborer et se constitue tout au long de la rencontre entre les protagonistes du lien analytique.

Je privilégierai quant à moi cette conception poétique qui prend le mot interprétation dans la signification qu'il a dans le domaine musical, à savoir, d'interprétation jouée sur un instrument sonore qui donne corps à une partition écrite (affective), qui donne audience aux signifiants affectifs dans les langages de la création.

L'interprète donne à entendre au sujet ce qui de sa symbolisation dans le jeu est la transcription inconsciente et imaginaire ou abstraite des signifiants.

Interpréter n'est en aucune façon extraire et communiquer des significations qui seraient cachées au sujet, mais énoncer dans sa langue ce qui est là dans le langage et auquel le sujet ne peut avoir accès que par son inscription dans l'imaginaire de l'Autre, dans sa reconnaissance par l'Autre, cet autre qui est l'animateur/analyste.

Jacques Lacan communique ça en disant que l'Inconscient, c'est la Parole de l'Autre.

C'est dans l'@utre que se forme l'image concrète de l'Objet insconscient, qui se détruit en tant qu'inconscient dans l'acte même de sa constitution.

Mélanie Klein utilise deux modes d'explication des effets de sens structurants pour le sujet dans la relation analytique: la translaboration et la perlaboration.

Ces deux concepts décrivent des processus d'intégration des effets de sens surgis de l'expérience expressive créatrice dans l'espace analytique que nous pouvons tout à fait transférer à la compréhension des processus expressifs à l'œuvre dans l'Ateliers aussi bien que dans le temps de Parole.

La translaboration :

Terme spécifiquement Kleinien, qui signifie le travail d'assimilation directe par le sujet lui-même des émergences affectives, psychiques, émotionnelles ou mnésiques au sein de son propre jeu créateur. C'est un travail fourni par le sujet qui effectue une élaboration psychique autonome, interne, à sa propre évolution: "un ensemble de processus qui permettent de résoudre et de dépasser certaines positions affectives de la prime enfance " (p.224) ... " un remaniement des affects et des relations d'Objet qui amène une réduction du clivage intra-psychique et qui favorise l'intégration du Moi" (p.224).

La perlaboration désigne, comme pour les Freudiens, un processus par lequel le sujet intègre une interprétation de l'analyste et surmonte les résistances qu'elle suscite.

La perlaboration implique étroitement les interprétations de l'analyste.

@

7) La créativité comme réparation

M.K. met au premier plan du développement du nourrisson les pulsions de vie, et la relation d'amour satisfaisante à la mère.

Voici ce qu'elle dit p.26 :

" Le "bon" sein qui nourrit et amorce la relation d'amour à la mère est le représentant de la pulsion de vie. Il est ressenti comme étant la première manifestation de la créativité. Au cours de cette relation fondamentale l'enfant reçoit non seulement la gratification qu'il désire, mais éprouve le sentiment d'être maintenu en vie " .

Et puis, un peu plus loin, "L'identification à un bon objet intériorisé, dispensateur de vie, donne une impulsion à la créativité...La capacité de donner et de préserver la vie est ressentie comme le don le plus précieux, et la créativité devient ainsi la cause la plus profonde de l'envie ".

Ça, c'est important!

L'envie : ce mécanisme est inhérent, pour Mélanie à l'existence de la créativité, qui est elle-même liée à l'expérience perturbante avec le conflit : " Tout conflit qui comporte la nécessité de le résoudre constitue un élément fondamental de la créativité"

Pour Mélanie Klein, la créativité est liée à la prédominance des pulsions libidinales sur les pulsions destructrices.

Par rapport à la théorie conventionnelle de la créativité comme mécanisme de sublimation elle apporte à la théorie de la création un différentiel central, car elle considère l'expérience créatrice comme une tentative faîte par le sujet pour réparer les dommages causés par la destructivité aux Objets internes ou externes par les pulsions destructrices.

Ce processus est lui-même associé au travail que le bébé effectue au moment de la position dépressive, c'est à dire à un moment où il commence à engager une relation différenciée avec les objets externes

J'en resterai là avec ce travail d'approche des concepts et positions psycho-analytiques de Mélanie KLEIN.

Je voudrais pour conclure cet exposé, reprendre quelques éléments du jeu conceptuel entre les différents plans du travail d'élaboration, de translaboration et de perlaboration selon que nous engageons des Ateliers d'Expression Créatrice centrés sur l'expression de la personne, et les mêmes ateliers centrés sur le soin analytique. (dans la visée thérapeutique)

Je définirai l'ATELIER D'EXPRESSION CRÉATRICE comme étant essentiellement orienté par la visée translaborative, et le second l'ATELIER D'EXPRESSION CRÉATRICE ANALYTIQUE/ THÉRAPEUTIQUE dans une visée intégrant les deux dimensions translaborative et perlaborative.

Je m'explique.

A la question: que fait l'animateur de façon spécifique dans un Atelier d'Expression Créatrice Analytique "normal" (ça peint et ça élabore l'expérience vécue) ? La réponse serait : l'animateur/analyste conduit le cadre, gère le dispositif, accompagne les processus de création et les catharsis émotionnelles, et s'en tient dans ses interventions au soutien du travail de translaboration. Il n'introduis pas d'activité de co-élaboration des signifiants ; et il reconduit le sujet, chaque fois qu'il y est sollicité, dans la reprise du jeu créateur. Il utilise les forces, il n'en analyse pas un sens qui ne viendrait pas spontanément à la figuration créatrice ou à la figuration psychique pour le sujet lui-même.

Lorsqu'un contrat thérapeutique explicite est posé, alors, l'animateur/analyste participe avec le sujet à un travail commun de construction du sens, et donne au sujet matière à perlaboration de son propre champ de raisonnaces au sens où je le définissais tout à l'heure d'une sorte de nommination de ce qui est là, que le sujet donne à voir et à entendre, des signifiants qui viennent prendre corps dans l'espace psychique et affectif de l'animateur.

Guy Lafargue

Bordeaux le 6 Fevrier 2002
revisité le 1° Mars 2015